L'Albatros - Paroles

01.L'Albatros

Texte de Charles Baudelaire

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

02.Mammocratie

De féroces conquérantes cuirassées de lingerie
Terrassèrent l'occident, maintenant à leur merci,
Soumettant tous les hommes à la mammocratie ;
Je ne puis dire la manière : Des sorcières ou Ghandi ?

Toutes les villes, toutes les nuits, elles s'emparent incisives
Des regards et des coeurs, des soupirs et des rêves ;
Mêmes les mille-et-unes chaînes de nos téléviseurs
Débordent de ces dames : dandinants postérieurs.

Elles feignent de chanter et la foule en délire,
Envoûtée par la chair, ne peut plus réfléchir,
L'attention cimentée aux méandrées sueurs
Qui coulent sur leur cuisses, toutes vibrantes de vigueur.

Le monde est devenu, vous l'aurez remarqué,
Une foire aux pétasses fières de faire bander,
Tandis que l'on nous dit : "Cessez de regarder !"
Comme si ce n'était pas ce que vous désiriez.

03.Caligynéphile

Le silence du matin assaille mes oreilles
Et l'inanité desséchée du grand lit au réveil
Qui naguère froissait le tissus blanc d'ébats
Me poignarde le ventre, m'érafle, me noie.

Seul survivant du champs de battaile stérile,
Je cueille les fleurs de sperme jetées des nubiles,
Reniflant les effluves de leurs suçoirs déserteurs
Jusqu'à me relâcher, atone, au délice saboteur.

Horticulteur fantaisiste des champs oniriques,
J'abreuve les dryades de désirs concentriques ;
Mes larmes arosent leurs doux vagins végétaux
Qui tissent leurs lianes sur mon coeur en lambeaux.

Prisonier du désir d'éjaculer au visage
Des filles d'Ève et des amantes beaucoup moins sages,
Je mutile et balafre l'amour teinté d'innocence
Qui lui sait circonscrire la sordide concupiscence.

04.Les Ostentatoires

Rugissent des enclos cordés sur la principale
Les biches demi-mondaines reines du règne animal.
Libidineuses, chaudes et suintantes de sueur,
Leurs orchidées brulantes implorant les cueilleurs.

Maitresses usées par laventure
Dont les rides et les vergetures
Privées de foutre, s'étiolent vers
Le bout du tunnel, la lumière.

Puis vient la danse des princesses
Sciant les airs de leur jeunesse
Trémoussant leurs doux callipyges
Qu'une modeste ficèle corrige.
Aguichant les âges par la chair;
Beautés nubiles et éphémères.

Laissant les reines vétustes béantes
Muses de trottoir périclitantes
Solder leur baise aux philanthropes
Contre une estime de juge myope.

Pendant que les rois pédophiles
Allaitent les gigolettes juvéniles
Qui n'ont pas encore oublié comment téter
Et dont la taille place les bouches à équité.

05.Le misanthrope

Quand, devant son iris, les nuances s'éclaircissent
Et frissonne son tympan aux échos qui vrombissent.
Quand au siège de son âme se bousculent les vers
Et foisonne son esprit de formes et d'univers.

Le misanthrope observe, se dressant devant lui
De grandioses colonnes inspirées de génie
Qui lui parlent de triomphe, de gloire inassouvie,
De luisantes promesses donnant sens à la vie.

Quand sa carcasse s'incline jusqu'à son instrument
Et qu'il le fait gémir des accords horrifiants.
Quand il plonge sa plume dans l'encrière odieuse
Et accouche dans l'effroi d'une oeuvre nauséeuse.

Quand, aux envers du monde, il nage la tête aux cieux,
Contre-courant, rêveur, naïf et ambitieux,
Il s'écorche aux écueils et coule au fond de l'eau,
Confiné au cachots où meurent les anormaux.